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Photo du rédacteurLe gourbi bleu

Dialogue entre Agathe Boisset et Sandrine Pirès

Dernière mise à jour : 17 oct. 2021


S: Bonjour Agathe, comment ça va? Je peux te poser des questions ?

A: Oui. Je t’écoute.

S: Est-ce que tu te rappelles encore de ce que ça t’a fait d’apprendre la nouvelle...le CORONA...le COVID19...le confinement ?

A: La nouvelle n’est pas tombée comme un couperet, c’était l’enchaînement d’annonces dans les médias, l’étau qui se resserrait de jour en jour et d’heures en heures ensuite.

S: Comment as-tu vécu ça ?

A: C’était pour moi un moment d’urgence puisqu’au centre chorégraphique à Belfort, où je travaille en production et diffusion, nous étions à quelques jours de la fin d’une création. Une création qui rassemble des danseurs de Tunisie, du Maroc, du Burkina Faso et de France. J’ai compris qu’il ne fallait plus négocier l’arrêt de la création avec la direction artistique lorsque le gouvernement marocain a annoncé, le 13 mars, la fermeture de leur frontière avec la France dans les 48h. Une course contre la montre s’est alors enclenchée, nous devions trouver, pour tous les danseurs, un retour à la maison en toute sécurité. Après des journées intenses à chercher des solutions, à acheter des billets pour tout le monde (certains ont finalement été confinés à Belfort), je me suis ensuite mise à mon tour en sécurité, à Strasbourg chez mon compagnon. C’est grâce à lui que j’ai fait mon sac et que je l’ai rejoint.  Plongée dans mon travail, je ne réalisais pas encore comment cette crise allait avoir un impact dans ma vie. Il m’envoyait une myriade d’articles de presse que je n’avais pas le temps de lire et qui me faisait comprendre l’urgence d’arrêter.

S: Est-ce que tu as travaillé ?

A: J’ai été en télétravail dès le mardi 17 mars. Bizarrement, j’étais en fait rassurée de savoir que la vie allait ralentir. Sans ces mesures drastiques, nous aurions eu du mal à arrêter du jour au lendemain les déplacements, le travail de notre propre chef.

En télétravail, il fallait tout d’abord gérer les annulations de tournées, les reports de date de spectacle. Le réflexe suivant a été de se projeter dans la saison prochaine. Comme si tout allait reprendre rapidement.

S: Qu’est-ce que tu as pu remarquer dans cette façon de travailler ?

A: Il y a deux choses qui ont changé, le rapport à l’espace et le rapport à l’autre. Quitter mon espace de travail habituel et me retrouver  physiquement éloignée de mes collègues. Nous avions réorganisé le bureau avec mon compagnon pour le partager à deux en face à face ! Mon compagnon devenait ainsi mon coworkeur.

S: Toi si tu pouvais changer quelque chose, ce serait quoi ?

A: Je réinventerais une façon de bouger. Je n’ai jamais eu de voiture personnelle et je ne me prive pas d’en louer une si besoin. Ce n'est pas un obstacle pour moi puisque je navigue entre des centres urbains et que j’utilise majoritairement les transports en commun. En revanche, je me sens freinée pour investir la campagne sans que la mobilité soit un problème. J’aimerais que nous redéveloppions les réseaux de mobilité dans les campagnes: multiplier les trains régionaux, réhabiliter les trains de nuit, tisser des petites lignes de bus qui ont étés supprimées. Réinventer nos façons de bouger car j'aimerais que la voiture ne soit plus un objet de possession mais de partage. Mutualiser les ressources, favoriser l'entraide et l'échange.

J’aimerais repenser le secteur culturel dans une dimension plus locale. Mais comment conjuguer cela avec le besoin de partager les œuvres avec des publics lointains dans ces contraintes ? 

S: Si tu pouvais ne pas reprendre comme avant ce serait comment ?

A:Je me pose encore la question puisque c'est difficile de défaire le monde dans lequel je vis depuis plus de 30 ans, tout en sachant que nous ne sommes pas sur la bonne voie pour y parvenir.


Pourquoi tu me poses toutes ces questions ??

S: Parce que je fais ça depuis que je suis petite. Je pose des questions. Parce que je ne sais pas. Parce que je me sens perdue et que j’ai besoin d’écouter. Et surtout coûte que coûte j’ai besoin d’échanger. Je suis un être social. 

A: Et toi ?comment as-tu réagi ?

S: Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai arrêté de fanfaronner. Mon optimisme en a pris un coup, ma désinvolture s’est tue. J’ai pris la mesure. J’ai eu peur sans avoir peur. Comment réaliser?

Plusieurs membres de ma famille travaillent à l’hôpital ou en EPHAD. Je connais l’hôpital, les réas, les soins intensifs… Savoir qu’un étage complet de l’hôpital Pasteur 2 de Colmar était transformé en secteur COVID19 m’a fait comprendre. Avoir ma grand-mère au téléphone me disant qu’elle n’avait jamais vu 5 pages de nécrologie par jour, m’a fait comprendre. Croiser le voisin revenir de l'hôpital de Mulhouse - alors que le service de pompes funèbres pour qui il travaille avait été appelé onze fois dans la même journée - m’a fait comprendre. Comprendre que c’est grave et réel. 

Alors je me suis mise en mode un jour après l’autre. Et j’ai mesuré la chance d’être dans une maison, au vert… Ce confinement évidemment même s’il a fait preuve d’actes de solidarité n’aura pas endigué les inégalités. … Je m’égare.

J’ai moins travaillé. J’ai œuvré pour ma famille. J’ai créé dans le quotidien. Reproduire chaque jour la même chose tout en inventant, tout en restant alerte, animée, tendue vers une recherche d’être vivant. N’est-ce pas proche de ce que nous cherchons à réaliser à travers un spectacle???

J’ai senti profondément à quel point j’ai choisi un métier, une voix professionnelle qui dépend des autres. Quand j’ai vu la capacité de rebond de certains, je me suis un peu affolée et puis j’ai laissé passer. Parce que tout ce que j’imaginais faire, c’était de montrer l’absurdité du théâtre sans la présence physique des uns et des autres… Je m’étais imaginée jouer tous les personnages d’une pièce et aussi jouer plusieurs spectateurs, filmer tout ça… Et puis non. 

J’ai tout de même accepté de faire des lectures filmées pour la Comédie de Colmar. J’avoue que je me suis prise au jeu. Et surtout contre toute attente, il y a eu des retours inattendus notamment de personnes qui ne vont pas forcément au théâtre. Je sais, je suis obsessionnelle avec ces gens qui ne vont pas au théâtre… C’est parce que j’ai l’impression d’y avoir mis les pieds par hasard. Ce n’était pas prévu et cela me bouscule et m’interroge encore aujourd’hui.

Donc j’ai peu travaillé. Et c’était bien. Comme si quelque chose se redistribuait. Comme si le temps reprenait sa véritable forme. Comme s’il se débarrassait du poids des fausses urgences permanentes. Comme si le temps lui-même déclarait forfait; ça fait bizarre.

Je me mettais au travail avec envie, et moins par contrainte ou en tous les cas avec un équilibre entre les deux.

J’aimerais ne pas reprendre la course. 


A : Tu veux arrêter ??

S : Non, je ne veux plus courir. Pas tout le temps. Enfin tu vois de quelle course, je parle.


A : Oui je vois très bien.

S : Concrètement je pense que j’ai envie de continuer d’envisager le théâtre comme une mise en relation artistique au service de tous et surtout de ceux qui ne vont pas au théâtre… Je veux renouer avec les débuts du Gourbi Bleu. Et continuer ce travail de pont entre deux éléments étrangers. Ou être ce corps étranger dans un paysage, dans une rue, un quartier, ou une place de village, dans une salle des fêtes pour tenter de créer du déplacement, une réaction d’adhésion ou de répulsion… Voilà, c’est ça: trouver comment créer des formes artistiques à réactions! Rien de nouveau sur la comète, d’autres le font, l’ont fait… J’ai envie de le faire aussi.

Aussi, j’ai eu des coups de fils avec des responsables, des programmateurs.trices , directrices.teurs qui parlent de cela… Certes. Par la force des choses… Et en même temps, que ce soit clair, j’ai toujours eu cet appétit de l’en-dehors pour mener vers l’en-dedans. Parce que j’ai eu la chance de mettre les pieds dans un théâtre et cela a donné du sens à ma vie… Je reste attachée à la proximité, au local… Mais au fond j’ai envie de bouleverser les choses en profondeur… Je sais ce n’est pas vendeur et un artiste reconnu sera toujours celui qui viendra d’ailleurs. D’ailleurs moi aussi l’ailleurs me fait rêver. Mais je rencontre l’ailleurs aussi tout proche de moi. Une coéquipière artistique ne cessait de me dire “tu es une grande voyageuse”... Alors que j’ai peu voyagé. J’adore les voyages mais je peux me contenter de la beauté d’à côté. Ce n’est pas encore vraiment concret. Plutôt des aspirations… Mais je sens que c’est en cours.


Merci Agathe pour cet échange. 

J’espère que d’autres auront envie de répondre… Même si c’est vague… Parce que, pour moi, tout vient d’un flou artistique qui à force de recherche, d’obstination, de synergie mène quelque part!



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